Secrets and bones (Flashback) ft Kise

Tes yeux s’ouvraient sans difficultés sur le plafond à quelques mètres au-dessus de toi. Tu n’avais pas dormi, tu n’avais tout simplement pas réussi. Le silence t’avait cependant réconforté en un sens, bien que quelques questions trottaient dans ta tête, sans cesse. Tu attendais simplement le bon moment pour les poser, pour éclaircir ton esprit. Après avoir commis une atrocité qui ne serait sans doute jamais pardonnée par ton père, tu avais pris la direction de la chambre de ton cadet afin de lui annoncer la bonne nouvelle. Cette sorcière ne l’importunerait plus. Soixante-cinq ans de violence silencieuse, de torture verbale, c’en était fini. Tu avais enfin pris ton courage à deux mains pour mettre un terme à tout cela. Kiseki était ton frère, ton jumeau, la prunelle de tes yeux, et il était tout simplement impardonnable qu’elle ait vécu si longtemps à faire ses coups en douce.

Légèrement apaisé par sa mort mais contrarié par les soins particuliers de Kiseki avant de vous coucher dans son lit, tu n’avais cependant pas osé lui demander. La vérité était que lorsqu’il t’avait remercié si chaleureusement, tu avais été encore plus fier de l’avoir fait. Kiseki était de nature douce, mais il restait à moitié Yôkai. Tu avais douté sur le fait qu’il soit content que tu aies tué pour lui, pour le protéger, mais il avait immédiatement compris tes intentions. Un immense poids s’était enlevé de vos épaules à tous les deux, parce qu’elle ne serait plus là pour cracher son venin. Autant de ses lèvres que de ses yeux de vipère.

Le jour se levait doucement à travers la fenêtre, tu pouvais voir de magnifiques rayons de soleil se glisser timidement dans la chambre. Cela devait faire quatre ou cinq heures que tu avais libéré le monde entier d’un fléau abominable, tu ne ressentais toujours pas grand-chose à l’égard de cette femme qui t’avait mis au monde. Avait-elle un jour été ta mère à proprement parlé ? Tu ne te souvenais pas d’un seul geste maternel de sa part en plus de soixante ans d’existence, Nadeshiko, bien que son seul véritable fils ait été Kiseki, n’avait pas fait de différences entre lui et toi. Tu t’étais quasiment imposé dans sa vie, ou peut-être que tout s’était fait naturellement. Dans tous les cas, tu n’avais jamais senti d’écart entre ton cadet et toi, vous étiez sur le même piédestal. L’un n’allait pas sans l’autre.

Ton regard se porta sur le haut de la tête de Kiseki. Une touffe rosée comme la tienne, à l’allure moins sauvageonne que toi. Ton bras autour de lui se crispa instinctivement sous lui, alors que tu te tournais vers lui pour le serrer davantage contre toi. Tu étais du genre à ne voir que toi, à ne penser qu’à toi, mais Kiseki avait une place particulière dans ton cœur. Pourquoi n’avais-tu pas remarqué qu’il avait grandi, mûri, qu’il s’était assombri ? Tu voulais le protéger de tout, du monde, de la monstruosité qui existait dans l’univers, chez les Yôkai autant que chez les Hommes. Tu voulais l’épargner de tout, que ses yeux restent purs, ainsi que son esprit. Mais tu t’étais absenté pendant dix ans, et tu n’avais pas remarqué tout de suite.

Pourtant, quelques heures auparavant, il avait eu des gestes de soin comme s’il avait vécu cela un million de fois. Comme s’il était habitué à réagir face à cette situation. Et les os qu’il avait utilisés, l’odeur qui émanait de ces morceaux d’ossements était clairement la sienne. Tu étais tourmenté par d’affreuses visions, ce qui te poussa à resserrer davantage ton emprise sur lui, nichant ton nez dans sa chevelure. Comment avais-tu fait pour ne rien voir ?

Inconsciemment, tu le sentis bouger contre toi. Tu estimais cependant qu'il avait besoin de se reposer encore un peu. Kiseki était comme un enfant innocent à protéger, tu n'agissais comme ça qu'avec lui, parce qu'il était ta moitié. Si ton cadet et toi fusionniez, nul doute que cela créerait un être parfait, qui se complète. Ton nez toujours perdu dans les cheveux de ton frère, tu n'avais pas envie de bouger. Tu trouvais un réconfort certain à être contre lui, il n'était certes pas rare que vous dormiez ensemble comme des siamois, mais la sensation ne changeait pas. Tu n'étais plus Sasori le Ryomen-sukuna ; juste un enfant.

Tu desserras ton étreinte légèrement pour le laisser se tourner correctement et te faire face, ses petits yeux encore ensommeillés, son expression était absolument adorable. Un léger sourire naquit sur tes lèvres en remarquant sa moue, tu te demandais à quoi il pouvait penser dés son réveil. Vos regards ne se lâchaient pas, comme si les mots n'avaient plus de poids après ce qu'il s'était passé. Tu voulais pourtant continuer de le rassurer, mais il n'était pas dans tes habitudes d'en faire des tonnes pour réconforter. Kiseki le savait sûrement, sans nul doute que des milliers d'émotions passaient dans vos yeux en ce moment.

Et puis sa voix timide et douce retentit entre vous deux. Tu fermas les yeux en soupirant un petit peu avant de le fixer. "Tu as dormi pour deux, je dirai. En ronflant, en bavant et en parlant aussi." Tu avais envie de le taquiner un petit peu, et ce fut de nouveau ce petit sourire espiègle qui apparut sur ton visage. Le câlin d'après te surprit un petit peu malgré tout. Tu n'étais certes pas friand de ce genre d'attentions en règles générales mais ton frère avait tous les droits. Et tu étais le premier à l'attaquer par de l'amour fraternel, très souvent, alors tu n'allais pas te plaindre. Dans cette étreinte, tu ressentais de l'inquiétude, de l'appréhension. Cependant malgré la gravité de la discussion à venir, tu voulais lui permettre de se confier, et ne rien te cacher. C'était important pour toi, de sentir Kise à l'aise en ta présence, au point de ne plus avoir de filtres. Tu refusais que la personne la plus précieuse à tes yeux creuse un fossé. Même inconsciemment.

"Tu sais, je ne suis pas le genre de frère à te forcer, t'empêcher de vivre de ton côté, d'évoluer quand je ne suis pas là. Peut-être aimerais-tu me cacher des choses, mais vois-tu, hier, malgré mon état discutable, j'ai remarqué que tu avais changé."

Un léger rire étouffé répondit aux marmonnements de ton frère après ta phrase taquine. Il ne niait pas d’ailleurs, ce qui voulait dire que ça arrivait. Qui aurait bien pu l’entendre parler dans son sommeil à part toi ? Tu laissas cette petite question de côté pour profiter du câlin que t’offrait malgré tout Kise. Tu appréciais de l’avoir avec toi, tu te sentais complet en quelque sorte. Sans doute que l’effet « jumeau » de la famille entrait en scène dans ce genre de situations, tu ne savais pas. Après sa phrase ô combien menaçante, tu te contentas de sourire bêtement. « Je compte sur toi. » L’adrénaline, bien qu’un peu redescendue, se baladait encore en toi.

Tu avais ressenti une lourde fatigue après que Kiseki t’ait soigné, mais tes yeux n’avaient pas réussi à se fermer, ton cerveau n’avait pas trouvé de repos. Tu avais alors réfléchi encore et encore. Et cette nouvelle sensation de puissance lorsque tu avais dévoré le corps de ta génitrice, tu en voulais encore. C’était une expérience vraiment dingue. Si tu pouvais remonter le temps, tu le referais encore et encore, inlassablement.

L’instant d’après, une certaine tension pèse sur vous. Le poids de vos corps sembla plus lourd dans le lit. Tu fronças les sourcils, soucieux de sentir Kiseki se tendre dans tes bras. Tu te demandais s’il te faisait suffisamment confiance pour te raconter tout ce qui le chagrinait. S’il te considérait comme un frère capable d’écouter, de comprendre. Tu avais des inquiétudes bien niaises avec ton cadet, mais tu ne pouvais tout simplement pas te battre contre cela.

Les yeux de Kiseki se posèrent alors dans les tiens, tu ne parlas pas, tu te contentas de te préparer à entendre ses paroles. Tu sentais dans le creux de ton ventre que quelque chose de grave était arrivé, et cela avait tendance à te rendre nerveux.

Plus il se confiait, plus tu comprenais. Tu arrivais à visualiser la douleur qu’il ressentait lorsqu’il devait utiliser ses propres os pour guérir quelqu’un. Et ton coeur se serra lorsque tu pris conscience que tu avais avalé de ses os brisés douloureusement. Il te les avait offerts si simplement, comme s’il avait l’habitude, comme si c’était normal. Mais ça ne l’était pas. Ton visage se fermait à mesure qu’il parlait, les battements de ton coeur se pressait, comme affolés par les sentiments qui affluaient dans ta tête.

Cela ne pouvait être ça …
Cela ne devait pas être ça.
Pourquoi étais-tu parti ?
La raison te semblait évidente au moment du départ, mais maintenant … Tout était flou.

Tu n’étais pas capable de décrire l’avalanche de sentiments qui déferlaient à l’intérieur de toi. Tellement d’émotions se mélangeaient, se battaient pour prendre l’aval sur les autres. Tu étais perdu. Tu semblais comprendre, sans vouloir l’assimiler. Tu le sentis se nicher littéralement contre toi, comme honteux, comme s’il voulait se protéger. Ou te protéger toi. Tu ne savais pas. Tu ne pouvais pas non plus réfléchir correctement. Ton sang bouillonnait dans tes veines, comme un volcan prêt à entrer en éruption.

« Kiseki. » Ta voix froide et sans appel tomba dans la pièce comme un éboulement, comme un coup de couteau violent dans une toile paisible. « Je ne peux pas promettre que je serai là tous les jours de ton existence. Mais je peux au moins faire en sorte que tu puisses te reposer sur moi quand tout devient trop lourd. Je pourrai porter le monde à tes côtés si tu me le demandais. » Tu ne pouvais promettre de le protéger en toute circonstance. Surtout que tu aimais énormément bouger depuis ton voyage à Hida, tu ne pourrais rester en place trop longtemps. Cependant, Kise passerait toujours avant tes envies.

Tu semblas parti loin dans tes pensées, comme pour ne pas te laisser submerger par tes émotions, ta colère, ta peine, ta culpabilité. Tu passas une main dans les cheveux de ton cadet comme pour le consoler, mais la vérité, c’était que tu te raccrochais à lui pour ne pas partir en vrille.

Ces moments privilégies étaient importants. Autant pour toi que pour Kiseki. Tu le savais. Tu le sentais. C’était un lien fusionnel, qui ne cessait de grandir à mesure que le temps passait. C’était puissant, indestructible, tu était sûr et certain à cent pourcents que rien ne pourrait le détruire. La raison principale était que tu tuerais quiconque essaierait de vous séparer, et que tu te battras comme un Daiyôkai pour le protéger et le garder à tes côtés.

Tu étais possessif à ce point.
Tu aimais Kiseki à ce point.

Tu finis par lui confier ce que tu ressentais, ce que tu avais au fond de toi. Même si ton désir de le protéger du monde était fort, tu ne pourrais pas être à ses côtés pour toujours. Il y avait des moments où vous aviez besoin de vous séparer. Bien sûr, cela rendait les retrouvailles encore plus belles, plus émouvantes, et votre lien se renforçait … Tu te fermas un peu après les mots de Kiseki. Sa réponse te laissait perplexe, tu sentais qu’il cachait des choses, et qu’il n’avait pas forcément envie d’en parler.

Mais tu étais égoïste par nature, tu voulais savoir. Tu souhaitais qu’il se confie, qu’il puisse tout te dire sans appréhensions, sans craintes. Sa voix était posée, et c’était bien ce qui t’inquiétait. Tu le sentis se blottir un peu plus contre toi, comme tourmenté par de sombres pensées, et tu ne pus t’empêcher de le serrer contre toi, tout en lui caressant les cheveux avec douceur.

Une douceur que Kiseki était le seul à sentir, ressentir et voir.

Ta mine s’assombrit immédiatement aux mots suivants. Il voulait oublier qu’il avait tué ? Tué qui ? Tu restas pensif, sentant une colère sourde monter dans ton corps. Kiseki ne ferait jamais une telle chose, à moins qu’on le pousse à cette extrême. Tu étais jeune, mais pas un idiot fini. Tu ne bougeais plus. Tu semblais être devenu une statue de glace.

De nouveau, le silence s’installa, s’étala sur la longueur. Tu commençais à bouillir. Tu essayais de calmer ton rythme cardiaque, ta chaleur corporelle. Tu essayais de taire ton pouvoir ardent, pour ne pas exploser. Tu avais peur. Oui, tu étais terrifié par ce que Kiseki pourrait dire par la suite. Tu avais presque envie de l’empêcher de continuer.

Mais tu voulais savoir.
Malgré tout.

Il finit par briser le calme de surface. Tu fus attendri par ses paroles. Le fait qu’il veuille te protéger, te garder à l’écart pour ta propre santé, ton propre bien-être, ça te donnait encore plus envie de le protéger. C’était bien ton frère ça, à penser à toi, aux autres. Tu poussas finalement un soupir, le lâchant un peu pour te mettre sur le dos, prêt à recevoir ce qu’il avait à te dire.

Tu inspiras un grand coup, et ne pus te forcer à affronter son regard. Le plafond de sa chambre semblait plus intéressant. Tu te concentrais sur un point invisible, maintenant tant bien que mal ton calme apparent. Même si des petits détails étaient sûrement visibles. Surtout pour quelqu’un comme Kiseki, qui te connaissait si bien …

« Je ne peux rien te promettre Kise. Je vais essayer, mais tu me fais déjà sentir coupable. Alors dis moi ce qu’il se passe, ou ce qu’il s’est passé durant mon absence. Ton suspens me tue. »

C’était difficile de garder une voix sereine, alors qu’une vague émotionnelle était en cours de route.

Le plafond avait quelque chose d’apaisant, en quelque sorte. Si tu fixais Kiseki une seule seconde, tu appréhenderais encore plus. Tu essaierais de comprendre ses silences, tout en imaginant mille et une choses en même temps. L’anxiété commençait à monter dans ton coeur, celui-ci se permettant de battre plus fort que d’ordinaire. Kiseki était tendu. Il respirait fort par à-coups, comme pour se donner du courage. Comme pour se préparer.

De ton côté, tu essayais simplement de rester calme, sans montrer que tu n’en pouvais plus d’attendre. Ta patience n’était pas ton fort, ce n’était pas une qualité que l’on pouvait retrouver chez toi. L’impatience par contre, c’était un de tes grands défauts. Et Kiseki était juste en train de tester la limite de tes nerfs.

Finalement, sa voix brisa le silence avec une certaine violence. Tu te contentas alors de l’écouter, sans rien dire. Pas un seul sourire vint attendrir ce visage à l’allure pensive qu’était le tien. Pas même à la blague de ton frère sur son penchant à sauver la veuve et l’orphelin. Tu restais concentré. Tu ne la sentais pas du tout cette histoire.

Tu n’aimais pas ce que le corps de Kiseki contre toi dégageait. Une frayeur qui commençait à s’insinuer en lui. Un stress maladif qui avait entamé son chemin jusqu’à ton coeur, en passant directement dans tes veines. Tu sentais les pulsations frénétiquement calmes dans ton cou, te battant intérieurement pour ne pas péter un plomb.

En apparence, rien ne te faisait défaut. Ni ta respiration. Ni les expressions de ton visage.
Mais c’était sans doute le plus inquiétant.

Tu aurais pu être fier de comprendre que Kiseki avait connu une transformation démoniaque. Qu’il avait tué des gens, qu’il les avait fait souffrir. Oui, tu aurais pu. Mais c’était contre sa nature, tu en avais terriblement conscience. La façon dont son sang Yôkai avait réagi … Tu ne pouvais tout simplement pas l’ignorer, la mettre de côté pour te concentrer sur autre chose.

Tu essayais, du mieux que tu pouvais, de contrôler tout ce que tu ressentais. Non seulement, Kiseki avait vécu tout ça, loin de toi, mais en plus, il n’avait pas daigné t’en parler à la première seconde où vous vous étiez retrouvés ? Tu étais en quelque sorte vexé. Et coupable de l’avoir laissé pendant dix ans.

Tu étais en colère contre ces Yôkais qui avait touché à ce corps si précieux pour toi. À cet être pour qui tu pourrais mourir. Tu te sentais mal, sans savoir pour quelles raisons exactement. Tout se mélangeait. Et les sanglots de Kiseki ne t’aidaient pas à y voir plus clair.

Tu étais figé.
Comme une statue.
Le temps semblait s’être arrêté.
Tout comme toi.

Tu avais peur. Si tu parlais, tu avais peur de ce que tu pouvais dire. Si tu bougeais ne serait-ce que le petit doigt pour le serrer contre toi et le rassurer, tu avais peur de ce que tu pourrais faire ensuite. La colère montait, montait. Encore et encore. Tu n’étais pas bon pour gérer tes émotions. Tu n’étais pas connu pour avoir une parfaite gestion sentimentale.

Ton cœur s’accéléra encore. Jusqu’à ce sentiment d’explosion que tu connaissais bien. Tu t’écartas vivement de Kiseki, sorti du lit, ayant à peine le temps de mettre tes deux pieds sur le sol que tu entamas contre ton gré une transformation. Tous les traits humains que tu avais appris à maintenir s’envolèrent, laissant place à un géant à quatre bras, recroquevillés sur lui-même.

Tu en voulais au monde entier. Tu ne savais pas comment réagir face à cela. Ton corps se contentait de le faire pour toi. Alternant entre transformation Yôkai et apparence partiellement humaine. Cela te faisait trop mal. Tu souffrais, mais ce n’était rien comparé à ce qu’avait vécu Kiseki. Tout seul.

« Comment as-tu pu me laisser ignorant de cela aussi longtemps ? » Tes nerfs à fleur de peau finirent par exploser. « Comment as-tu pu les laisser te toucher ? Te faire du mal ? » Ta voix se faisait rauque et changeante en fonction de tes états corporels. « Ils ont mérité leur mort. Non, je leur aurais infligé mille fois pire. » Tu dérailles, un rire hystérique et nerveux se fit entendre dans la pièce.

Ton visage s’était tourné vers ton frère. « Pour une première transformation en Ryomen Sukuna, t’as fait fort Kiseki. Je te félicite. » Malgré un immense sourire dessiné sur tes lèvres, une expression de folie dans les yeux, tu ne sentis même pas les larmes se ruer aux portes de tes paupières pour glisser avec rage sur tes joues.