De récit en aventures

Ses murmures furent bien plus audibles qu'il ne le pensait car le Yokai y répondit en affirmant que lui non plus ne savait guère ce que s'était qu'avoir un ami. Bien qu'extérieurement, seule sa surprise se lisait dans son regard ambré à l'intérieur le jeune homme se serait collé une baffe pour s'être laissé aller de la sorte. Décidément, être blessé le rendait bien plus vulnérable qu'il ne le pensait et son sourire de politesse laissait éclater ses réelles émotions. Un conteur ne pouvait cependant pas se laisser aller de la sorte pour être le témoin neutre des scènes qu'il devait retranscrire.

Toutefois il n'était pas le seul à faire tomber le masque, ou du moins à l'effriter car cette question avait aussi été posée par le gardien. Un protecteur et un conteur qui se mettaient aux sentiments, cela donnait une scène des plus cocasses et en fin de compte, cela fini même par amuser Iwajiro. Tous les deux avaient beau être sages, ils n'en finissaient pas d'en apprendre tous les jours. Même les choses les plus simples de la vie.

Ozora voyait dans les humains des protégés, mais il n'avait jamais vu dans ses semblables des alliés ? Des amis ? Était-il seul à ce point ? Toutes ces années passées dans la solitude, certes cela lui avait appris à réfléchir mais n'était-ce pas triste ? Il se demandait ce que l'autre avait pu penser dans ces moments-là. S'était-il ennuyé ? N'avait-il jamais réellement cherché à se rapprocher d'un être avec qui discuter ? Le fait que l'autre s'ouvre à lui comme lui l'avait fait lui montrait que son aîné lui faisait assez confiance pour l'estimer et il devait se montrer digne de cet égard. Surtout avec la définition qu'il venait de donner à « amitié ».

Sans jamais lâcher le doré de son interlocuteur, son sourire bienveillant sembla s'illuminer à mesure que l'autre prononçait ses paroles. Un rire fini par échapper à ses lèvres, s'élevant dans les airs au milieu des volutes de fumées pour finir par se perdre dans l'air de la nuit. Qui sait, était-ce là une prière faite aux étoiles qui les regardaient.

« - C'est une belle illustration de ce terme et je l'accepte volontiers. »

Le destin – à défaut des dieux – avait décidé de lui donner une soirée forte en sensations apparemment mais ce n'était pas pour lui déplaire, du moins plus maintenant. Avoir un ami. S'était tout à fait nouveau pour le vagabond solitaire mais ce n'était pas si désagréable que cela. Bien au contraire. Un sentiment à découvrir avec son lot de surprises. Pourquoi pas. Cela serait une expérience des plus enrichissantes et cela faisait s'envoler un poids de ses épaules. Comme s'il n'avait plus réellement le besoin de devoir sans cesse regarder derrière lui.

Vint alors une simple question. Posée par un être désireux d'en apprendre plus sur lui. Une question qui faisait de nouveau s'ébranler le fils de la roche en même temps que cela le touchait. On ne l'avait pour ainsi dire jamais tutoyer, seule sa mère l'avait fait autrefois. Ni ses connaissances. Ni même sa propre famille. Tout à fait déroutant. C'était si étrange que la surprise brilla dans l'ambre de ses prunelles. La roche s'écaillait, ébranlée et pourtant ce qu'elle laissait maintenant apercevoir était de loin plus beau. Telle une géode qui cachait en son sein des pierres précieuses.

Pourtant le sourire que le conteur affichait était celui qu'il affichait à son public de même qu'à ses clients. Un sourire faux et courtois pour cacher ses réels sentiments.

« - Pas vraiment. J'ai toujours voyagé seul et même lorsque j'étais enfant, je ne jouais pas avec les autres. Il fallait que j'apprenne toujours plus pour satisfaire les exigences et les espoirs qu'avaient placé en moi mon père. »

Malgré ses propos, son ton était resté détaché. L'homme en leva même les yeux et haussa les épaules. Feinter lui permettrait peut-être de ne pas réellement ressentir le sentiment de vide qui avait croit en lui depuis tout ce temps. Toutefois et il le garda pour lui, en parler lui faisait le plus grand bien. Il avait trouvé une épaule sur laquelle s'appuyer, une oreille prête à l'écouter et il serait prêt à en faire de même pour cette personne qu'il estimait de plus en plus. La main posée sur son menton l'aidait à cacher son sourire avec ses longs doigts fins.

Cela était vraiment plaisant. Toutefois il reprit de son sérieux : lui aussi avait des questions.

« - Et toi ? »

La question renvoyée, le regard de son interlocuteur se perdit dans le lointain horizon. Y cherchait-il la réponse à ce qu'il lui avait demandé ? Une réponse, mais pour qui ? Curieux et pourtant autant impassible, le conteur dévia le sien vers l'endroit que fixait le sage Yokai, peut-être pour lui aussi trouver la réponse ou, à défaut, un élément. Puis les lèvres scellées d'Ozora finirent pas s'ouvrir, captivant de ce fait de nouveau les prunelles ambrées de son silencieux spectateur.

Ainsi donc la gardien avait eu des alliés, des protégés et des adversaires mais jamais d'amis. Entouré mais pourtant seul. Peut-être était-ce triste, peut-être était voulu pour y trouver sérénité et sagesse. Bien ou mal ? Simple question de point de vue et il n'était pas le mieux placer pour répondre à cela. Alors le grand brun se contenta simplement de hocher la tête mais restait néanmoins intrigué quand à son choix. Si des humains par le passé avaient perçus le gardien comme un ami, ce dernier ne pensait pas la même chose à leur sujet alors le fait que ce dernier lui demandait de le percevoir comme un égal le toucha tout autant que cela l'honora.

« - Il semblerait que nous devions, tous les deux, apprendre en matière de relation. »

Petite pique amusée pour montrer que malgré leurs nombreuses années passées dans cette quête de sagesse, ils avaient négligés quelques bases de la vie. La solitude pouvait être une alliée dans certaines circonstances, elle était une lame à double tranchant qui les laissait néophytes. Tous les deux allaient devoir apprendre ce que s'était qu'avoir un ami. Quelqu'un sur qui compter.

Toutefois quelques mots interpellèrent le grand brun mais voyant que son ami se refusait à s'attarder là-dessus, il ne jouerait pas trop les curieux tout comme Ozora lui avait laissé une part d'intimité. Une Yokai qu'il considérait comme différente par rapport à leurs pairs mais qu'il ne considérait pas comme une amie ? Peut-être une sœur dans ce cas ? Il avait tout le temps pour l'apprendre et n'était nullement pressé. Bon... il était vrai que l'un avait plus de temps que l'autre et Iwajiro espérait simplement avoir la réponse de son vivant.

« - Qui sait ? Je suis bien trop détaché de mes semblables pour pouvoir confirmer ou infirmer cela. »

Haussant des épaules, il illustra ses propos par sa nonchalance, à quoi cela pouvait bien servir à un conteur itinérant de s'attacher avec de tels sentiments. C'étaient bien là des bagages trop lourds à porter. Il devait les faire ressentir, pas les vivre. Cela lui allait bien ainsi et le laissait libre à ses rêveries qu'il apposait sur papier.  

Néanmoins il était curieux de voir ce qu'il pourrait apprendre d'Ozora, pour qui il avait un profond respect. Quelques jours à passer dans ce village ne pourraient nullement lui faire du mal. De toute façon dans son état, ce n'était pas conseillé de reprendre la route. Il ne serait bon qu'à devenir une proie facile pour les brigands. Le conteur reporta son regard vers sa tasse vide et après quelques instants fini par se lever.

« - Je vais chercher encore un peu de thé, veux-tu quelque chose aussi ? »

Il attendit la réponse et après que celle-ci soit donnée, il inclina de nouveau la tête et rentra quelques instants afin de passer commande. Derrière cette envie de boire de nouveau se cachait une raison plus égoïste : le temps passé avec le Yokai était agréable et il n'avait trouvé que cette manière détournée de le garder encore un peu de lui, comme si cela pouvait arrêter le temps afin qu'ils puissent avoir d'autres conversations tout aussi passionnantes que celles qu'ils avaient eue jusqu'alors.

Revenu à leur table, il se réinstalla tant bien que mal, maintenant que l'adrénaline et la chaleur du coup s'étaient dissipé, la douleur se faisait bien plus présente. Mais comme à son habitude, il essayait de rester de marbre malgré son état et seuls ses traits tirés trahissaient son mal dissimulé.

« - J'ai aussi une requête à te demander, si cela ne te gêne pas. Tout à l'heure j'ai remarqué que tu combattais toi aussi avec une lance et j'aimerais avoir un entraînement afin de me parfaire dans le maniement de mon arme. Quelques petits échanges amicaux te tenteraient ? »

La première leçon qu'il lui avait inculqué, malgré lui, fut que jamais il ne devait se fourrer dans des guêpiers sans avoir au préalable pris son arme avec lui. Même lorsqu'il s'agissait de tenter de raisonner des ivrognes incommodants une jeune femme. À défaut d'être acceptée, cette requête avait fait passer le temps pour que leur commande arrive enfin.

Tout en soufflant sur les vapeurs chaudes du thé, le grand brun en profitait pour cacher un léger sourire face aux propos tenus par son aîné. Il lui disait être rouillé mais pourtant le conteur était persuadé qu'il ne lui faudrait que peu d'efforts pour le mettre au tapis. S'il était aussi rouillé qu'il le lui indiquait, quels pouvaient bien être ses talents du temps où il brandissait son arme ? Même si l'humain exécrait l'idée de devoir dégainer la sienne, il savait bien que malheureusement un jour ou l'autre il devrait le faire alors il devait y être aussi préparé qu'il le pourrait.

De plus, et cela il n'avait pu le prendre en compte de prime abord, son ami ne s'était pas entraîné depuis bien longtemps. Cette piqûre de rappel lui serait donc plus que bénéfique surtout s'ils devaient tout deux partir arpenter les routes dans peu de temps. Cette rencontre pouvait être intéressante et enrichissante avant que tous les deux ne se séparent lorsque le moment sera venu.

Doucement, les prunelles ambrées se plongèrent dans la boisson aux mêmes tons alors qu'il réfléchissait à quelle réponse il pourrait apporter au Yokai sans que sa demande ne soit écartée. Même si son visage restait aussi stoïque que la roche, il ne pourrait jamais convenablement caché la fragilité due à sa blessure : à un moment ou à un autre l'impassibilité de ses traits finirait par s'éroder et laisserait visible la douleur. Ainsi donc, il devrait gagner le plus de temps possible et pour cela aucun autre chemin n'était possible que celui d'un petit mensonge.

Fort heureusement, à réciter des vies qu'il n'était pas la sienne, il était devenu quelque peu émérite dans la discipline de la dissimulation de la vérité. Il n'aimait guère user de ce stratagème, surtout auprès d'un être qui lui faisait suffisamment confiance pour le considéré comme un égal, mais la grande attention du gardien devait être déjouée. S'il lui prouvait qu'il pouvait se battre même avec un tel handicap, peut-être arriverait-il à lui faire comprendre que les humains pouvaient se débrouiller sans uniquement compter sur les dieux.

Face à cette pensée, un léger rire vint ronronner dans sa gorge. Si les autres pouvaient entendre ce qu'il pensait, cela ferait longtemps qu'il aurait fini la tête détachée de ses épaules. Cette situation l'amusait grandement. Il ferma quelques instants ses paupières pour cacher le pétillement d'amusement de ses iris et lorsqu'il les rouvrit, il fixa Ozora de nouveau.

« - Une bonne nuit de sommeil pour me remettre sera amplement suffisant. Tant que je n'aurais pas d'autres adversaires sous l'effet des pouvoirs d'un facétieux esprit, je pense survivre. »

Il prit alors sa tasse entre ses mains et après avoir soufflé une énième fois dessus, en but une gorgée pour se calmer ou tous ses efforts auraient été déployés pour rien. Peut-être que son aîné prendrait son air désinvolte comme une preuve qu'il était suffisamment à l'aise à ses cotés. Après tout, n'étaient-ils pas tous les deux des cas sociaux lorsqu'il s'agissait du relationnel. Ils vivaient tous les deux pour les autres : l'un apportant sécurité et l'autre réconfort, qu'ils en avaient oublié de tisser des liens avec eux. Quelle ironie dans cette situation.

Mais peut-être n'était-ce tout simplement pas plus mal ; à quoi bon essayer de nouer avec une brise ou une montagne ? Ils ne pouvaient ni être pris entre les mains ni même emportés. Inatteignables et pourtant bien présents et fidèles piliers en ce monde.

Comparé à sa prédécesseur, cette tasse fut bien plus vite avalée même si le conteur la savoura tout de même. Plus vite il terminait son thé et plus tôt il pourrait aller se coucher afin d'être présent pour leurs retrouvailles. En un sens, ce n'était tout simplement que reculer pour mieux sauter. De toute façon même si la soirée était magnifiquement étoilée, l'air frais lui rappelait sans cesse sa condition d'humain. Fragile et pourtant magnifique.

Éphémère.

La boisson avait réussi à le garder jusque-là au chaud, de même que les chaleureux échanges avec son ami. Comme tout ceci était étrange. Tout nouveau et inconnu mais pas si déplaisant que cela. Bien au contraire. Il avait hâte de voir comment cela allait évoluer et qu'allait-il bien pouvoir apprendre de tout cela.

En attendant de le découvrir...

Il fini par se relever et s'inclina une ultime fois en face de son invité. Une nuit bien méritée l'attendait et si les yokais n'avaient peut-être pas besoin de se reposer, cela n'était pas le cas des hommes. Il n'y faisait pas exception.

« - Bien que cela me peine à l'annoncer, je me dois d'écourter notre délicieuse conversation. Il se fait de plus en plus tard et si je veux être levé demain à l'aurore, je devrai me coucher dès à présent. Cela a été un plaisir de discuter avec toi, mon ami, et j'espère pouvoir te retrouver dès demain pour cette séance d’entraînement ou même devant une bonne tasse de thé. En attendant, bonne soirée. »

Ceci fait, l'humain apporta les ustensiles vides auprès de la gérante, laissant les autres à Ozora.

Halloween