Le calme avec la tempête

Un autre jour, une nouvelle histoire. Le conteur espérait juste que celle qui commençait serait bien plus fructueuse que la précédente. Pourtant une rumeur sur des Kitsunes qui avaient été aperçus à bien des reprises dans les environs et il avait cru qu'à flâner autour de ces petits village, il aurait la chance de tomber sur ces mystérieuses et espiègles créatures. Ainsi passa-t-il plusieurs jours dans les environs, le promenant au gré du vent comme une feuille aurait été transportée par la bise volage.

Toujours en silence et avec un calme olympien, seul son regard ambré trahissait les sentiments de désillusion qui avaient envahit son être. Le doré n'était plus aussi éclatant, presque comme si un voile gris l'avait terni par ses longues recherches infructueuses. Il avait beau être patient, cette perte de temps commençait à le décourager et à la fin d'une énième journée à flâner il se résolu à devoir quitter les humbles et sereins paysages de ces petits villages. Au moins ses péripéties n'avaient pas été entièrement vaines et avait-il pu croiser le chemin d'un drôle d'exterminateur.

De quoi étoffer son recueil d'histoire mais malheureusement pas la raison première à sa présence ici. Au moins avait-il fait la connaissance d'un personnage fort intéressant mais cela ne l'incita pas à rester plus longtemps : s'il voulait continuer à vivre de sa passion, il allait devoir partir pour créer toujours plus d'histoires afin de satisfaire son public. Ne pas se reposer sur ses lauriers même si ses spectateurs n'étaient pour ainsi dire jamais les mêmes et comme il avait passé plusieurs jours dans le même établissement, il craignait que l'un de ses contes ne soit déjà connu des badauds de passage ou des autochtones.

Le jour touchant presque enfin à sa fin, le grand brun fit demi tour alors que le soleil entamait doucement sa descente. La direction était déjà toute tracée et ses projets prévus : dernière représentation ce soir et le lendemain il quitterait l'auberge en quête d'une nouvelle source d'inspiration. Ses prunelles retrouvèrent alors un peu de leur éclat alors qu'il cherchait déjà où il irait et l'ambre se maria tout d'un coup avec les couleurs chaudes et dorées d'un ciel se couchant.

Ainsi et avec entrain, le voilà qui récita sa dernière prestation en ces lieu avant d'aller se coucher. Avant d'aller se coucher, il se permit une dernière fois de regarder la lune, orbe d'argent mariant les couleurs orangées et ocres de son costume à celle bleues et violettes du ciel étoilé. Dans un soupir, il murmura un souhait, espérant un miracle et après avoir terminé son thé du soir, ferma ses paupières jusqu'à ce qu'un nouveau jour se lève.

Et aux aurores, ses affaires étaient déjà empaquetées tandis qu'il réglait ses dernières dettes auprès de l'aubergiste afin de quitter les lieux en toute sérénité. Chemin faisant, il quitta le village de son séjour les yeux en direction de sa destination. Toutefois une drôle de sensation ne pouvait le quitter tandis qu'il avançait et à plusieurs reprises il se permit de regarder derrière son épaule sans pour autant rien percevoir d'autre que les paysages de Musashi. Pensant à une hallucination de sa part, il ne tint plus rigueur de cet étrange sentiment et continua sa route jusqu'aux environs de midi où la chaleur et la faim se faisant de plus en plus oppressantes, il fini par s'installer sous un arbre et sortir de ses empaquetages de quoi se sustenter.

Assit à l'ombre et rafraîchit par la brise qui ne le quittait pas et ce malgré l'intensité du soleil, le conteur itinérant se prélassait devant quelques victuailles ainsi qu'une bonne tasse de thé. C'est à cet instant qu'il senti de nouveau cette étrange sensation et repoussa cette fois sa conviction d'un sentiment de paranoïa de sa part : cette fois il était persuadé qu'il était bel et bien suivi ou tout du moins qu'il avait intéressé un être pour capter son attention. Mais loin de vouloir fuir, sa curiosité le poussa à ne pas bouger de sa position et continua de souffler sur sa tasse tout en regardant du coin de l’œil les environs.

La tasse en main offrait à son champs de vision des volutes de fumé s'échappant lentement, cela rendait ce qu'il voyait certes plus éthéré mais cela diminuait en contre-partie les détails. Toutefois il ne pouvait guère baisser son gobelet ou la présence qu'il avait ressenti de derrière son épaule risquait de disparaître sans demander son reste. Ainsi malgré sa gêne, il garda sa position et se permit même le luxe d'en prendre une gorgée, ne fermant toutefois que d'un œil alors que le breuvage descendait lentement de sa bouche jusque le long de son œsophage.

Peut-être que semblant ainsi beaucoup plus vulnérable car moins sur ses gardes, son poursuivant se rapprocha de sa position et lui chaparda une pomme qui avait roulé un peu plus loin de son frugal repas. Au moins ce n'était pas lui qui avait été choisi comme repas. Une bonne chose quand on savait avec quelle brio il finirait en mauvaise posture face à un être mystique. S'il pouvait aisément se défendre contre quelques roublards ou clients mécontents de ses histoires, ses aventures passées avaient prouvé qu'il ne faisait pas le poids face aux esprits et autres créatures folkloriques. Au mieux sa lance servirait même de cure-dent de luxe après qu'il se soit fait dévorer.

Son corps restait de marbre pourtant son esprit était délivré d'un poids mais ce n'était pas pour autant qu'il fallait tout de même baisser sa garde. Si certains êtres n'étaient pas dangereux, ils n'en restaient pas moins espiègles et prompt à user d'entourloupes afin de mettre à mal les humains. Certes le conteur voulait que les humains aient moins peur des esprits et autres créatures, mais il n'était pas pour autant téméraire au point de se jeter dans la gueule du loup. Comprendre et connaître ces êtres ne voulait aucunement signifier les embêter et faire comme s'ils étaient des banals humains. Chacun avait son caractère et son orgueil et il fallait donc agir en conséquence.

Iwajiro examina la forme tenant le fruit dans lequel elle croqua et sans effacer son sourire mystérieux, tenta de la détailler. Le cliquetis de la porcelaine indiquait qu'il venait de reposer sa tasse sur son socle et avait désormais toute son attention portée sur la nouvelle venue à moitié dissimulée grâce à la pénombre.

Était-ce simplement une dame qui l'avait suivi afin d'avoir le droit à une autre histoire ? Par le passé cela lui était arrivé que des enfants, enchantés par les épopées qu'il narrait le suivent timidement pendant quelques temps dans ce but. Alors amusé, il finissait par leur accorder une prestation gratuitement et c'était avec un certain amusement et une profonde satisfaction qu'il les voyait repartir, un grand sourire lumineux sur leur frimousse et des nuages plein la tête. Alors, il se sentait comblé d'avoir réussi à effacer cette image distordue que les humains avaient des « monstres ».

Son regard ambré se fit plus vif, tentant de détailler l'apparition du mieux que sa vision le lui permettait. Non ce n'était pas qu'une simple femme et ses réflexes pour voler le fruit aussi sucré que rouge l'avait aiguillé dans ce sens. Ou peut-être était-ce une de ses exterminatrice. Après tout s'il avait rencontré ce Michiya, il n'était pas impossible que d'autres humains aux capacités exceptionnelles puissent se trouver dans les parages.

Toutefois, ne voulait aucunement offusquer la mystérieuse apparition, il tenta une approche toute en humour tout en gardant son petit sourire placardé sur les lèvres. Sa voix grave et calme s'ajouta à la mélopée du chant de la faune et la flore vivant autour d'eux.

« - C'est donc vous qui me traquiez depuis tout ce temps ? Pour la pomme, il suffisait de demander. Je ne suis jamais contre un peu de compagnie autour d'une tasse de thé. »

D'un mouvement gracile du poignet puis de la main, il l'invita à se joindre à lui. Toutefois il n'osa pas en faire d'avantage de peur que la situation ne lui échappe. Si on l'avait suivi jusqu'ici à travers l'ombre de la végétation, cela devait être pour une raison bien précise, alors mieux valait ne pas rester désinvolte. De surcroît, s'il s'agissait d'une jeune femme dont la beauté énigmatique arrivait à percer les ténèbres ou une quelconque illusion lui permettant de se dissimuler dans les environs.