Ueda Ume

Le triptyque est une œuvre principalement composée de trois panneaux distincts mais liés par leurs thèmes, comme trois faces d’une même pièce hypothétique qui se rapporteraient l’une à l’autre, formant un être complexe, en accord avec ses propres contradictions. Ume est encore une enfant, peinant à résister à son besoin de sauter à pieds joints dans les flaques d’eau boueuses qui jalonnent son quotidien avec la naïveté de croire qu’elle ne tachera pas ses vêtements. Ume croit vertueusement qu’elle pourra aider tout le monde, sans se rappeler que tout le monde n’a pas besoin de son aide. Ume est un bambin qui regarde le ciel de nuit, reflétant les étoiles dans la prunelles de ses yeux ébahis par la beauté que ce monde peut lui offrir. La nuance entre l’imprudence et le courage est encore floue pour une jeune fille qui ne s’était entraînée que contre des hommes de paille, et l’arrogance de la jeunesse savait frayer son chemin pour lui rappeler qu’elle ne connaissait rien du monde extérieur et de ses dangers. Ume c’était son nom, mais ume, c’est aussi cette prune qui ne se mange qu’une fois maturée dans le sel; ce jeune fruit qui ne demande qu’à grandir mais qui devra passer par les pires épreuves pour trouver sa réelle saveur. Son appétit insatiable de tout savait bourrument dépasser les limites normatives de la bienséance japonaise et on pourra vite la prendre pour une paysanne ignorante. Ume sait que le savoir est la plus affûtée des lames, mais Ume n’est pas le couteau le plus aiguisé du tiroir, seuls sa bienveillance et sa fougue savent jouer en sa faveur.

Ume est pourtant une femme, élevée par des hommes, dans le milieu masculin de la guerre. Ume aurait voulu faire croire qu’elle n’était qu’une femme en composition, que sous la poitrine qu’elle devait cacher, battait le coeur d’un homme valeureux; que son sabre assurait autant sa virilité que ceux des hommes. Elle avait vécu la vie d’un homme et sa présence valait celle de tous ses compagnons d'armes. Mais Ume est pourtant une femme. Depuis quelques années, chaque mois, Ume est plus faible que ses compagnons. Depuis quelques années, Ume ne se lave plus avec ses compagnons. Ume n’était pas une femme, mais elle n’était pas un homme non plus. Mais Ume est pourtant une femme, et ces dernières années, elle voit les gens d’un autre oeil. Depuis quelques années son ventre joue des siennes quand quelqu’un frôle sa peau du bout des doigts. Les femmes de son âge sont déjà promises, mais Ume n’a plus personne. Alors elle erre, au gré des vents, aux gré des gens, elle cherche à combler un vide qui n’existe pas. Elle n’est pas triste, elle aime sa vie; elle n’arrive juste pas à la comprendre complètement.

Mais Ume est un soldat. Un exterminateur. Ume a grandi pour le devenir mais Ume ne connaît pas la discipline. Elle est spontanée, pas réfléchie; Ume est une vague, elle va déferler sur la plage, et rien ne l’en empêchera. La guerre est un art et Ume sait manier le pinceau comme personne avant elle, l’encre coule à flots dans son sillage et tous savent quelle prodige elle est. Ume n’abandonne pas, parce que si elle s’arrête de marcher, le monde va la rattraper; or c’est Ume qui course le monde et qui le rattrape par le col et qui le remet dans son droit chemin. Ume est un soldat, un exterminateur. Mais elle n’aime pas tuer. Ume aurait préféré continuer à jouer à se battre. Même avec les mauvais. Même avec les Yôkai. Mais ses croyances sont justes et les Yôkai n’étaient pas là pour jouer avec elle.

CA : Souffle de Mercure : Plus que de l'adaptation, Ume réagit presque instinctivement aux mouvements de ses adversaires, modifiant sa garde et ses angles d'attaques pour coller aux mouvements adverses.

CP : Sens affûtés : Ume est jeune et fougueuse, elle ressent le monde et le combat plus qu’elle ne le perçoit réellement.

CP : Réflexes humains de pointe : Ume bouge vite, elle vit constamment dans cette sensation que son corps réagit plus vite que son esprit.

CP : Cavalier. Ume à été formée depuis l'enfance à monter des chevaux, bien qu'elle ne soit pas une cavalière exceptionnelle, elle est en capacité de se battre à dos de cheval.

Armes : Tachi : Arme de prédilection de la jeune exterminatrice, elle sait manier toutes sortes de lames, mais le tachi reste son petit préféré de la bande.
Bo : Utilisé pendant plusieurs années pour son entraînement, Ume est naturellement doué aux combats de bâtons. Une arme cependant peu efficace contre les yokaï.

Le sifflement du vent dans les arbres effritait peu à peu la patience de la jeune femme. Dans l’ombre des feuillages épais, les larges traits de lumières semblaient pointer le sol comme sacré, comme si dans ces légers hameaux lumineux, le mal ne saurait se faufiler. Concentrée, les yeux fermés, en position pour dégainer son arme, Ume analysait chaque son qui parvenait à ses oreilles; le bruissement des feuilles, le lointain chant des oiseaux, les pas sur sa droite. D’un geste précis millimétré, elle pointa son tachi sur la gorge de son assaillant, la lumière qui parvenait à traverser la canopée se reflétant sur le tranchant de sa longue lame. Au bout de celle-ci, la gorge coincée contre sa pointe, se trouvait un garçon; pas plus haut qu’un tonneau et le crâne dénué du moindre cheveux, le jeune enfant ne possédait qu’un seul œil bleu au milieu du visage. Un déglutissement se fit entendre alors que la jeune chasseuse maintenait sa menace sur le yokaï.

«Pourquoi est-ce que tu me suis depuis plusieurs jours ?» avait-elle questionné le petit monstre.

Aucun son ne sortait de sa bouche. Il était habillé d’un petit kimono aux motifs de fleurs bleues. Ses doigts, autant à ses mains qu’à ses pieds, se terminaient par de longues griffes en piteux état. Ume ne sentait pourtant pas d’agressivité dans son comportement. Elle abaissa son arme et jeta un regard aux alentours, ils semblaient être seuls à plusieurs kilomètres à la ronde. Elle s’approcha du petit yokaï, le sabre toujours en main.

«Tu parles ma langue ?» lança-t-elle.

«Oui.» avait répondu le petit garçon d’une voix fébrile mais pourtant étonnement grave.

Il semblait regarder frénétiquement autour de lui, comme s’il avait peur qu’un prédateur lui saute dessus. Il ne semblait pourtant pas avoir peur de Ume qui était sûrement le plus grand danger à sa vie à cet instant.

«Pourquoi tu me suis alors ? Ça fait plusieurs jours que tu restes cent mètres derrière moi, sans m’attaquer.» continua-t-elle, un peu confuse par la situation.

«Je…», il regarda frénétiquement autour de lui, «Je suis à l’abri quand je suis près de vous, il n’ose pas vous approcher.» avait-il balbutié.

Cette déclaration mis tous ses sens en éveil; ce yokaï, et par extension elle-même, était suivi par quelque chose de plus dangereux. Si un autre Yokaï s’approchait de trop près, elle le sentirait, mais il n’y avait rien à signaler mis à part le petit monstre inoffensif.

«Et tu comptais me suivre jusqu’où ?» s'interrogea la jeune femme.

Le petit yokaï semblait pris au dépourvu, il baissa son œil au sol d’un air coupable.

«Je n’ai nulle part où aller, mon temple a été décimé il y à plusieurs nuits de cela.» répondait-il d’un air attristé.

Ume avait eu vent d’une attaque d’un temple plus haut dans les montagnes il y avait plusieurs jours. À travers l’épaisse forêt, plusieurs kilomètres au sud se trouvait un temple, les moines y étaient reclus, avec très peu de contacts avec l’extérieur, mais elle n’avait jamais soupçonné la présence de yokaï dans les rangs des moines. Le soleil était encore haut dans le ciel, il restait sûrement plusieurs heures avant l’aurore.

«Je peux t’amener à mon camp, mais tu seras enfermé et questionné jusqu’à ce que l’on sache si tu es réellement inoffensif.» déclara la jeune exterminatrice.

Le yokaï répondit d’un hochement de tête infantile, dans un soupir de soulagement, il dévoila un petit paquet, emballé par de larges feuilles fraîches, contenant deux parts de tofu parfaitement cubique. Il tendit la feuille vers Ume, l’incitant à se servir. Elle renifla grossièrement les blocs de soja fermentés avant d’en attraper un et de l’engloutir sans retenue. Elle fût stupéfaite par les arômes, le tofu étant traditionnellement un élément de texture, mais celui-ci avait gagné un léger goût salé mais doux.

Ils avaient marché plusieurs heures depuis leur rencontre, les faisceaux lumineux qui traversaient les feuillages plus éparses du bord de la forêt laissaient transparaître une teinte rosée, annonçant le début de la nuit, et la fin de leur balade tranquille. Ils risquaient beaucoup plus en avançant de nuit et décision fut prise de camper dans une petite clairière longeant un petit ruisseau. Après cette longue journée de marche, Ume ne rêvait que d’un bain chaud, mais elle devait se contenter d’un simple rinçage à l’eau froide. De plus, les jours se refroidissaient et elle avait intérêt à être sèche avant la tombée de la nuit. Elle ôta ses armures et ses vêtements, et glissa un pied dans l’eau glacée du ruisseau. Ses muscles se raidissaient au contact de l’eau mais la fraîcheur de son bain atténuait la fatigue de son voyage. Elle se tourna vers le yokaï qui la fixait de son œil grand ouvert.

«Tourne toi le pervers !» hurla-t-elle au petit voyeur.

Elle s’empressa de se sécher et de renfiler ses vêtements. Elle laissa son armure proche du petit campement de fortune et entreprit de démarrer un petit feu. Assise face au petit yokaï, elle repensa que leur voyage avait été très mutique et qu’elle ne savait pas grand-chose de son compagnon de fortune.

«Comment tu t’appelles ?» avait-elle commencé.

«Hito.» répondit le yokaï.

«Je m’appelle Ueda. Tu as compris que j’étais exterminateur ?»

«Oui.» avait-il à peine soufflé du bout des lèvres.

«Qu’est-ce qui peut bien te faire si peur que tu te réfugies auprès de quelqu’un qui est censé t’abattre à vue ?» s'interrogea-t-elle.

Le petit monstre recommença à balayer frénétiquement du regard les environs, comme s’il se sentait écouté.

«Je sais qu’il est proche, je l’ai senti. Je veux savoir ce que c’est.» l’avait-elle coupé.

Il leva son oeil paniqué vers la jeune femme.

«C’est une femme, elle n’a pas d’oeil mais elle peut poursuivre n’importe qui indéfiniment. Un moine de mon temple l’a mise en colère et elle a exterminé tout le monde. J’étais caché là bas, mais je n’ai nulle part où vivre maintenant.»

Ume chercha dans sa piètre mémoire des informations sur un tel yokaï mais elle ne connaissait rien de cette femme, il faudrait sûrement se battre sans plus d’informations. La jeune femme se leva et enfila ses pièces d’armure avant d’attraper sa lame, posée au sol près de sa place.

«Très bien, allons-y.»

Elle avait plus prononcé ces mots pour se donner de la force mais le petit yokaï se leva tout de même, interrogatif. Ume prit un élan sur le sol humide et se propulsa dans un buisson à toute vitesse. Quelques mètres plus loin, la silhouette frêle et translucide d’une vieille femme se tenait au dessus du sol en lévitation, sur son visage, à la place de ses yeux ne se trouvait qu’un lisse morceau de peau, comme si elle n’en avait jamais eu. Au bout de ses longs doigts se trouvaient des griffes acérées de plusieurs centimètres de long, assez pour gravement blesser quiconque s’en approcherait. Mais Ume avait appris à se battre contre toute sorte de monstres et elle chargea le yokaï sans autre artifice. La vieille femme lança son bras au visage de la jeune exterminatrice mais d’un jeu de jambe habile, elle esquiva le coup et se retrouva en apesanteur au dessus du yokaï. Elle frappa d’un coup net et trancha la tête fantomatique de son assaillante, qui tomba au sol dans un bruit sourd. Elle rengaina son arme et s’agenouilla face au cadavre effondré à terre. Ume avait joint ses mains dans une prière rituelle pour l’âme du yokaï.

De retour au campement, elle annonça sa victoire au petit yokaï et lui proposa de l’emmener avec elle au campement où ses collègues lui trouveraient sûrement une utilité ainsi qu’un toit. Les larmes à l'œil, il accepta avant de sortir à nouveau un petit bloc de tofu emballé dans une petite feuille verte, sur lequel Ume se jeta comme un animal affamé.