Mille et un éclats (feat. Iwamoto Sumie)

|	Juillet 1551, Alentours de Mito, province d'Hitachi ; Wataru Kagerou & Iwamoto Sumie

Non loin rugit encore l'océan, agité sous l'ardent astre solaire, certainement une nouvelle fois Susanoo défiant au loin sa soeur. C'est pourtant sa saison, celle d'Amaterasu et résonne par delà tout Yamato le chant de l'été, le temps du feu, le zénith de la vie. L'instant exact où l'existence s'embrase, prenant source dans le brasier de l'âme, la période où la terre revêt son plus bel atour, car après arrive la décadence, avant le repos de l'hiver. Cycle immuable, la vie et la mort. Une pensée fugace, quotidienne, prière muette aux origines du monde, alors que le vent salé de la côte vient caresser son visage. À la douceur douceur et piquant, délicat mélange qui incarne merveilleusement les divinités des océans et des tempêtes, bref rictus qui vient se tracer au creux de ses lèvres. Douce sensation que de poser les pieds sur cette terre. Mito, aux frontières entre une étendue azur et la province d'Hitachi, un point de passage régulier pour l'exorciste, en plus d'apprécier ce paysage, là-bas se trouve une âme qui a si souvent croisé sa route ces dernières années. L'esprit vagabonde brièvement, tandis que ses pupilles se pose légèrement sur la jeune fille qui marche à ses côtés. Et pas après pas, la cité ce confond peu à peu avec l'horizon.

Et demeure un certain silence, pesant, du moins pour les épaules du moine. Une sensation trop familière, un murmure inaudible, au creux de l'oreille, comme l'écho des spectres du passé. Au fond de lui, il sait. Il la connait assez bien pour savoir, il le connaissait aussi, celui qui a formé la jeune femme à ses côtés. Oui, il sait, mais reste silencieux. Car lui-aussi connaît cette douleur, bien que devenu muette depuis si longtemps. Après tout, il n'était qu'un vagabond, moine exorciste, médecin itinérant, sur des terres immenses. Un grain de sable à l'échelle de l'univers. Il n'aimait pas parler du passé, celui qui se cache, au-delà du jour où il choisit de devenir nomade. Inconsciemment, ses pas se font plus lent, perdu l'espace de quelques instants dans ses pensées, le regard livide. Un retour soudain à la réalité, les traits légèrement plus adoucit qu'à son habitude, dévoilant une certaine forme de mélancolie, si discrète que presque imperceptible, mêlée a de l'inquiétude. Puis il vient briser la marche, rompant le silence au même instant.

< Tu sais, Su-chan. La tristesse n'est pas faite pour rester muette. Elle est comme la pluie, elle doit se déverser pour ne pas noyer le monde. Comme la colère qui, elle, est un brasier qui nous consume de l'intérieur à force de la retenir prisonnière. >


Certainement les seuls mots qui lui vinrent à l'esprit, un sens de la philosophie qui lui était propre, digne de la sagesse transmise par ses aînés. Mais lui-même ne comprenait pas tout à fait l'ampleur de ses propres mots. Ainsi que de ses maux. Lui aussi portait un masque. Étais-ce alors la raison qui rendait cette situation si limpide ? Un bien énigmatique paradoxe de comprendre le mensonge d'autrui à travers les siens... Un soupir passé sous silence qui se glisse entre ses lèvres. Ses iris plantés dans ceux de la jeune exorciste. Il en avait conscience, il se trouvait face aux portes de l'enfer et se préparait à s'y engouffrer sans la moindre hésitation. Un nouvel éclat.

< Peut-être est-ce la notre malédiction, en tant qu'exorciste. Nous avons, pour beaucoup, perdu quelqu'un de cher. >

Révélation à demi-mot, confidence muette. Lui qui n'avait jamais parlé du passé, lui qui refusait d'en parler. Et tel un murmure, sa voix se voulait douce, tendre, bien loin du visage qu'il a l'habitude d'offrir à cette jeune fille de bonne famille. Comme si l'espace d'un instant, il n'y avait plus de masque, mais l'âme d'un être, lui aussi, meurtri par le chagrin, consumer par la rage. Comme si quelque chose s'était rompu en lui, dévoilant la vérité aux regards des esprits attentifs.

|	Juillet 1551, Alentours de Mito, province d'Hitachi ; Wataru Kagerou & Iwamoto Sumie

Mélancolie voilée sous l'innocence d'un sourire. Un subterfuge simple, mais d'une efficacité redoutable, un masque qu'il ne connaît que trop bien, elle aussi victime des mêmes abysses que celles qui rongent les entrailles du moine. Un instant, un seul instant où ses pupilles se détournent, douloureuse réalité qui vient le déchirer, maudissant silencieusement l'infamie qui s'est abattue sur ce monde. Des blasphèmes muets qu'il crache au ciel et aux limbes, une foi mise à l'épreuve, encore une fois. Lui, simple humain, qui ne peut comprendre les desseins des Kamis pour cette terre marquée par le sang et le mal, s'égare peu à peu au coeur des ténèbres, sous sa carne, le sang bouillonne, la colère rugit, mais il ne peut la laisser s'exprimer à cet instant. Non, pas devant elle. Finalement, prisonnier de lui-même, douce ironie qui vient noircir l'éclat de ses yeux, incapable d'appliquer ses propres paroles. Léger rictus lugubre se trace au coin des lèvres, se mêlant aux mensonges du rôle qu'il entretient, aussi aisément qu'il est apparu, il s'évapore en un instant, ne laissant dans son sillage que cette douceur factice. Fragile humanité qui s'émiette .

Puis éclate la vérité, les confidences, à demi-mot, de la jeune femme. Une réalité toute autre, un écho qu'il connaît bien. Oui, eux aussi, cela devait certainement être leur dernière pensées. Du moins, c'est ce qu'il aime croire, imaginer leurs visages, avec ce sourire aux lèvres, la satisfaction d'une existence, aussi brève soit elle, juste et accomplie. Même à l'instant où on leur arracha leur dernier souffle de vie. < Si seulement... Je pouvais y croire... Comme eux... > Murmure indiscernable, une vérité lourde de sens. Tandis qu'elle, elle s'esquive, à nouveau. Accrochant soudainement le regard de l'exorciste perdu dans la vague. Un soupir, presque las, qui vient rompre le silence. Tenter de sauver les apparences, balayer les images du passé qui ne cesse de se dessiner sous ses yeux, retrouver l'instant présent. Une pensée qui demeure, tandis que ses lèvres se marque d'un doux sourire, éternel masque qu'il arbore au monde entier.

< Si peu suffisent à t'affamer ? Ou alors tu étais si impatiente de me retrouver que tu en as sauté un repas ? >

Délicate moquerie, petite douceur qu'il permet d'offrir. Une certaine complicité qu'il désire créer, inexplicablement. Lui qui, pourtant n'a jamais été capable de nouer des liens auparavant. Lui qui a toujours mis en avant les enseignements de son temple, mettre l'humanité entière sur un même pied d'égalité. Il nourrit pourtant ce souhait inavouable à travers un lien inexplicable, désireux de lui venir en aide plus qu'à autrui, de partager une connexion qu'il s'était toujours refusé envers autrui. Paradoxe brûlant à l'extrémité de ses lèvres, cherchant explication à ce sentiment qui le hante, l'envahit peu à peu. Pourtant, ce sont d'autres paroles qui viennent s'ajouter à la discussion.

< Et tu sais. Tu n'as pas à faire semblant avec moi. On ne peut pas dire que cela fonctionne vraiment... Un peu comme... > Il marque une pause, repensant à cette habilité certaine avec laquelle la jeune exorciste sait jouer de ses charmes, une farce particulièrement surprenante lors d'une de leurs nombreuses rencontre, au fil des années. < Bref, ça n'a pas d'importance. Et tu peux aussi me poser les questions que tu souhaites. Je te répondrais avec toute la sincérité dont tu feras preuve. >

Il est vrai, il ne peut l'ignorer. Celle-ci ne savait rien de lui, au final, nulle raison semblait le pousser à persister dans son errance. Il ressemblait plus à une âme damnée, cherchant la rédemption. Des paroles qui lui revinrent en mémoire, celle d'un homme, plus de ce monde, des mots d'une telle justesse qu'elles lui ont arraché un large sourire. En y regardant de plus près, oui, elle lui ressemblait beaucoup... Peut-être l'avait elle remarqué aussi, elle aussi. Mais le silence demeure, comme toujours et pas à pas, il vient obscurcir sa route.